29/09/25

Distribution et répartition des bénéfices en SRL et SA : règles et restrictions importantes

Une société est constituée au moins dans le but de réaliser des bénéfices et de les distribuer à ses actionnaires à un moment ou à un autre. Les règles de répartition et de distribution des bénéfices touchent donc à l'essence même de la société. Toute société sera tôt ou tard confrontée aux règles régissant la distribution des actifs.  Les principes fondamentaux en matière de répartition et de distribution des bénéfices sont à nouveau exposés ci-dessous pour la société à responsabilité limitée (ci-après : SRL) et la société anonyme (ci-après : SA).

1. Droit de participer aux bénéfices

L'objectif de distribution des bénéfices étant crucial pour une société, le code des sociétés et associations ("CSA") interdit expressément d'exclure un actionnaire de toute participation aux bénéfices (clause dite léonine). Chaque action doit donc être assortie de droits économiques  en plus des droits d’actionnaires. Cela signifie que tous les actionnaires peuvent donc s'attendre à une distribution des bénéfices, au moins au moment de la dissolution et de la liquidation de la société par le biais d'une distribution du solde de liquidation.
 
 Cependant, le fait que chaque action soit toujours assortie de droits économiques n'enlève rien au fait qu'un actionnaire n'a qu'un droit éventuel à la distribution des bénéfices. Il ne confère que le droit - lorsque la société décide de distribuer des bénéfices - de participer aux bénéfices au prorata de la part stipulée dans les statuts.  Le droit à la distribution des actifs d'une société ne naît qu'au moment où l'organe autorisé décide la distribution. À ce moment-là, l'actionnaire en question acquiert un droit individuel et devient créancier de la société pour le paiement de la distribution. 

2. L'organe compétent pour la distribution et la répartition des bénéfices

L'assemblée générale est l'organe compétent pour, d'une part, affecter les bénéfices et, d'autre part, déterminer les distributions. En ce qui concerne l'affectation des bénéfices, il s'agit d'une compétence exclusive, puisqu'elle fait partie du pouvoir d'approbation des comptes annuels. En général, cela se fait sur proposition de l'organe d’administration. Tant dans la SA que dans la SRL, la distribution des bénéfices est également, en principe, un pouvoir exclusif de l'assemblée générale
 
 Toutefois, tant dans la SRL que dans la SA, ce pouvoir peut être délégué/attribué à l'organe d’administration en vertu des statuts, conformément à l'article 5:141 CSA, deuxième alinéa, et à l'article 7:213 CSA (acompte sur dividende). Dans la SRL, le paiement d'un acompte sur dividende est une compétence concurrente depuis l’entrée en vigueur du CSA : l'assemblée générale peut toujours en décider, l'organe d'administration également dans la mesure où les statuts le prévoient (article 5:141 CSA). Dans la SA, il s'agit en revanche d'une compétence exclusive de l'organe d’administration, mais uniquement si les statuts le prévoient (article 7:213 CC).  

3. La notion de distribution et les types de dividendes

La notion de distribution dans le CSA a une signification plus large que dans l’ancien Code des sociétés. Comme la notion de capital a été supprimée dans la SRL , la procédure de réduction du capital a également disparu et, outre la distribution classique des bénéfices et des jetons de présence, les remboursements d'apports antérieurs en espèces ou en nature aux actionnaires tombent également sous le coup des mêmes règles de distribution. Les apports initiaux peuvent donc être remboursés (payés) par une décision ordinaire de l'assemblée générale prise à la majorité, sans modification des statuts, sauf s'ils ont été rendus indisponibles par les statuts. Dans ce dernier cas, une modification des statuts (soumise à la majorité spéciale et à un quorum de présence) est nécessaire pour rendre les apports indisponibles à nouveau disponibles. 
 
Dans la SA, où le concept de capital a été retenu, une réduction de capital (c'est-à-dire un remboursement d'un apport antérieur) nécessite toujours de suivre la procédure distincte de réduction de capital (dans laquelle les créanciers ont un droit d'opposition). 
 
 Les règles relatives aux distributions doivent également s'appliquer aux transactions qui ont le même effet économique qu'une distribution directe, par exemple l'assistance financière et le rachat d'actions propres. Toutefois, le cas d'application le plus courant d'une distribution est le dividende. Dans la pratique, on peut distinguer différents types de dividendes : 

  • Dividende ordinaire : décision de verser un dividende par l'assemblée générale annuelle, à la suite des résolutions approuvant les comptes annuels et l'affectation des bénéfices.
  • Acompte sur dividende : décision de distribuer un dividende sur le bénéfice de l'exercice en cours ou sur le bénéfice de l'exercice précédent à condition que ses comptes annuels ne soient pas encore approuvés, diminué, le cas échéant, de la perte reportée ou augmenté du bénéfice reporté.
  • Dividende intercalaire : décision de verser un dividende prise par une assemblée générale extraordinaire sur la base des derniers états financiers approuvés. Les réserves disponibles (par opposition à l'acompte sur dividende) et les bénéfices non distribués sont éligibles à cette distribution.

4. Limites des distributions

 Étant donné que les distributions excessives mettent en péril la solvabilité et la liquidité de la société (et de ses actifs), le législateur a fixé des limites à la possibilité de procéder à des distributions, en particulier le test de l'actif net (tant dans la SA que dans la SRL) et le test de liquidité (uniquement dans la SRL), ainsi que toute disposition statutaire à cet effet.   

4.1.    Test de l'actif net & Test de liquidité
   
4.1.1.    Test de l'actif net
Le critère de l'actif net prescrit qu'aucune distribution ne peut être effectuée si l'actif net de la société est négatif ou le deviendrait suite à la distribution. Si la société dispose de fonds propres indisponibles en vertu de la loi ou des statuts, aucune distribution ne peut être effectuée si l'actif net est ou deviendrait, à la suite d'une distribution, inférieur au montant de ces fonds propres indisponibles (par exemple,  des apports rendus statutairement indisponibles  ou une réserve indisponible due à un rachat d'actions propres). Dans le cas de la SA, le montant du capital et de la réserve légale doit également être pris en compte et  l'actif net ne peut diminuer en dessous de ces montants.

4.1.1.1.    Notion de l'actif net

Par actif net, il faut entendre le total de l'actif, déduction faite des provisions, des dettes et, sauf cas exceptionnels à mentionner et à justifier dans l'annexe aux comptes annuels, des montants non encore amortis des frais d'établissement et des frais de recherche et de développement.

Ainsi, le montant maximum distribuable en vertu de la loi peut être calculé sur la base de la formule suivante
 :

 Montant total des actifs

  - provisions (y compris impôts différés)
  - dettes

 =  Actif net

  - montants des frais d'établissement non encore amortis
  - montants des frais de recherche et de développement non encore amortis

 = Actif net ajusté

  - les fonds propres indisponibles du point de vue juridique/statutaire, y compris :
(i) le capital (SA) ou les apports statutairement indisponibles (SRL) ;
(ii) la partie non amortie des plus-values de réévaluation ;
(iii) La réserve légale (SA) et les autres réserves indisponibles (par exemple la réserve constituée suite à une assistance financière) ;
(iv) subsides  en capital

 = MONTANT MAXIMUM DISTRIBUABLE

4.1.1.2.    comptes de référence pour le test de l'actif net

Aux fins du test de l'actif net, il est possible d'utiliser soit les derniers comptes annuels approuvés, soit un état plus récent de l'actif et du passif. L'utilisation d'un état plus récent de l'actif et du passif est nécessaire si l'on souhaite distribuer les bénéfices de l'exercice en cours. Dans la SA, l'article 7:213 du Code des sociétés prescrit que l'état sur la base duquel l’acompte sur dividende  est calculé ne peut être antérieur de plus de deux mois à la date de la décision de distribution. Pour la SRL, le choix de la date des comptes utilisés est en principe totalement libre. Toutefois, le fait que la déclaration doit être récente signifie que son contenu peut ne pas être encore obsolète. En effet, dans ce cas, la responsabilité personnelle des membres de l'organe administratif peut être compromise. Bien que l'article 7:213 ne s'applique qu'à une SA, compte tenu de sa nature analogue, le délai de 2 mois peut être considéré comme une ligne directrice claire si la SRL procède à une distribution du bénéfice de l'exercice en cours. Il est préférable que la date de l'état de l'actif et du passif soit la plus proche possible du moment de la distribution.

Bien qu'il n'y ait pas d'obligation explicite, lors du paiement d'un dividende intercalaire, de (aussi) préparer un état plus récent de l'actif et du passif à la place ou en complément  des derniers comptes annuels approuvés , le fait de ne pas le faire peut constituer un manquement à l'obligation générale de diligence incombant aux administrateurs. Après tout, s'il y a des indications que la société en question va moins bien, il n'est pas prudent d'appliquer encore le test de l'actif net en se fondant (exclusivement)  sur des comptes annuels  déjà dépassés.

4.1.2.    Test de liquidité
La SRL doit ensuite formellement procéder à un test de liquidité. Concrètement, l'organe d’administration doit préparer un rapport dans lequel il évalue spécifiquement si, après la distribution, selon les évolutions futures raisonnablement prévisibles, la société restera en mesure de payer ses dettes au fur et à mesure de leur échéance sur une période d'au moins 12 mois à compter de la date de mise en paiement de la distribution. L'organe d’administration  ne peut procéder au paiement effectif de la distribution qu'une fois ce test de liquidité satisfait. Les données comptables et financières figurant dans ce rapport sont contrôlées par le commissaire (si la société en a désigné un)

La CSA n'impose pas ce test dans les SA. Toutefois, l'absence d'un test formel de liquidité dans les SA ne signifie pas que l'organe d’administration ne doit pas analyser la liquidité de la société lorsqu'il décide la mise en paiement d'une distribution. Les administrateurs manqueraient à leur devoir général de gestion prudente s’ils proposent ou versent une distribution qui, bien que techniquement dans les limites du test de l'actif net, fait en réalité courir un risque financier à la société.

4.1.3.    Autres considérations
Enfin, il faut également tenir compte des éventuelles limites statutaires à l'affectation et à la distribution des bénéfices. En principe, les actionnaires ne peuvent prendre de dispositions contraignantes pour la société à cet égard que dans les statuts car les dispositions relatives à la constitution de réserves, à la distribution des bénéfices et à la répartition du solde de liquidation doivent toujours être prévues par les statuts et publiées dans les annexes du Moniteur belge. Par exemple, il peut être stipulé dans les statuts qu'un certain pourcentage des bénéfices est affecté à la constitution de réserves ou doit toujours être distribué. De même, les statuts peuvent déroger à la règle supplétive selon laquelle chaque action participe de manière égale aux bénéfices de la SRL ou proportionnellement à la part que cette action représente dans le capital d’une SA.
 
Toutefois, le fait que les dispositions relatives à la constitution de réserves, à la distribution des bénéfices et à la répartition du solde de liquidation doivent toujours figurer dans les statuts n'empêche pas les actionnaires de conclure des accords sur la politique de dividendes dans un pacte (d'actionnaires) en dehors des statuts. Dans ce cas, toutefois, seuls les actionnaires contractants sont liés, dans le cadre de l'exercice de leurs droits de vote à l’assemblée générale (convention de vote). 

5. Conséquences des distributions illégales

Toute distribution effectuées en violation des règles légales peut être récupérée par la société auprès de ses bénéficiaires. Toutefois, dans le cas de la SA, la société doit prouver que le bénéficiaire de la distribution avait connaissance de l'irrégularité. Si la société n’agit pas, le créancier peut demander le remboursement par le biais de l’action oblique conformément à l'article 5.242 du code civil, si la société est insolvable ou risque de le devenir. 
 
Les membres de l'organe d’administration sont également solidairement responsables des violations des dispositions du CSA ou des statuts. La mise en paiement d'une distribution qui ne remplit pas les conditions légales constitue manifestement une violation des dispositions du CSA. 
 
Outre cette responsabilité civile, le CSA prévoit également une responsabilité pénale. Ainsi toute violation du critère de l'actif net est punissable, le législateur a précisé qu'en ce qui concerne le critère de liquidité, seule la décision de l'organe d’administration de procéder à des distributions qui compromettent la liquidité de la société est punissable.  Les administrateurs qui procèdent à une distribution dont ils auraient dû savoir qu'elle compromettait la situation de liquidité de la société risquent, tout comme en cas de violation du test de l’actif net, une amende de cinquante à dix mille euros et une peine d'emprisonnement d'un mois à un an.

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